Je te remercie chère Carole pour ton invitation. Je ne peux être avec vous en raison d’obligations municipales à Vaulx-en-Velin. Je ne doute pas que chacun repartira de Bram convaincu qu’un chemin existe pour la social-démocratie, pour l’utopie qui entraîne les peuples face à la radicalité qui divise.
Merci chère Carole de porter un débat et une volonté si utiles dans un moment si troublé.
La série la Fièvre traduit l’état de crispation de notre société. Nos boucles sur nos smartphones sont saturées d’informations angoissantes, les théories complotistes prospèrent et la raison semble perdre du terrain. L’acmé fut la crise sanitaire, révélatrice de nos peurs, de nos faiblesses, de notre défiance vis-à-vis des sachants. Lorsque les élites apparaissent incapables de protéger, de rassurer, d’expliquer le monde, alors vient le temps du repli.
A l’heure où l’Europe est prise en étau, entre le bloc impérialiste de la Chine et de la Russie instrumentalisant l’histoire coloniale des peuples et les Etats-Unis sous la menace du retour de Donald Trump ; à l’heure où le conflit du Proche-Orient aggrave les fracturations sur notre continent, les identités nationales fondées sur des valeurs partagées se délitent, alimentant la montée des nationalismes et des populismes dont les discours mortifères exploitent la peur de l’effacement et le rejet de l’autre. Jamais, nous Français n’ont été autant en quête de sens.
En France aujourd’hui, même les plus convaincus de l’universel doutent de notre capacité à faire société. Le mouvement des « gilets jaunes » a mis en exergue l’injustice territoriale. Nous sommes frappés par les attentats de façon régulière, y compris au cœur de nos écoles depuis plus de 10 ans. Enfin les émeutes de juin 2023 qui ont dépassé les seules banlieues ont montré une colère latente dans le pays.
Le socialisme doit répondre aux nouvelles questions de notre temps. Le socialisme, la gauche se sont construit sur les conquêtes sociales évidemment, mais les socialistes ont aussi porté les combats qui qui définissaient le rapport à l’autre, avec la loi sur la laïcité de 1905, le combat contre l’antisémitisme marqué par l’affaire Dreyfus, les combats de la décolonisation.
Ainsi aux côtés de notre engagement premier qui consiste à améliorer les conditions de vie, éducation, santé, sécurité, préservation de la planète se dessine un combat tout aussi existentiel, il nous faut revivifier l’universalisme. Il nous faut promouvoir un universalisme renouvelé et réparateur des dysfonctionnements de la République.
“Il y a deux manières de se perdre » disait Aimé Césaire « par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’Universel. Ma conception de l’Universel est celle d’un Universel riche de tout le particulier». Il l’écrivait dans sa Lettre à Maurice Thorez en octobre 1956.
Nous devons répondre à ces questions : qui sommes-nous ? Quelle est notre identité ? Est-ce que l’expression vivre ensemble a encore du sens ?
Il nous faut lutter chaque jour, de toutes nos forces, contre nos propres obscurantismes, contre cette peur ancestrale, cette peur atavique inscrite en chacun de nous, cette peur de l’autre, celle qui nous conduit à trouver toujours et en tous lieux des boucs émissaires.
Nous devons sortir de la nostalgie qui nourrit l’extrême-droite de la puissance coloniale passée de la France, celle d’une France fantasmée monocolore blanche et chrétienne. Le phénotype des invités au mariage vont changer. Et alors ? Oui, la France de demain sera métissée, et il faut le dire clairement. Notre histoire coloniale nous donne à la fois une obligation à agir et une capacité à comprendre. La France est désormais la France monde avec les Outre-mer pour lesquels elle doit continuer à inventer des relations d’émancipation. Michel Rocard en fut l’un des artisans.
Nous avons dans les quartiers populaires de notre pays, le monde entier, soit nous en faisons en force, soit nous construisons des sociétés disjointes, des sociétés de la juxtaposition. Or, la force de la France est d’avoir fait dans ses textes de droits, de tous ses enfants, quelle que soit leur histoire personnelle des Français à part entière. Évidemment, les discriminations existent, nous devons le reconnaître et les combattre. Et nous savons que le triptyque républicain « Liberté, Égalité, Fraternité » reste un horizon.
Il nous faut pourtant nous opposer au différentialisme, à l’essentialisme.
Je ne me résigne pas à ce que les populistes nous ramènent en permanence à une couleur de peau ou à une religion, que certains considèrent que les prénoms Mohamed ou Fatima n’ont pas droit de cité, que d’autres traitent « d’arabes de service » ou de « bounty » ceux qui font le choix de défendre notre République et je ne me résous pas à ce que d’autres aujourd’hui dans la douleur du conflit israélo-palestinien qui ravive toutes les haines, fassent mine de croire qu’être juif fasse de vous un soutien à la politique menée par Benyamin Netanyahou et qu’être musulman un complice du Hamas !
Il nous faut sortir de l’assignation à résidence qui s’installe, à la fois dans les quartiers populaires et dans le monde rural avec des électorats que les populistes séparent en jouant les « eux » et « nous » entre les habitants de ces territoires.
Or la France est forte de son histoire, la France est riche de ses histoires personnelles, elle peut montrer le chemin une nouvelle fois. Nous ne devons pas renoncer à l’ambition de faire un peuple français, doté d’une volonté farouche, celle de construire un destin commun. C’est à mon sens l’utopie du XXIème siècle.
Et ce récit unificateur, il doit trouver sa place dans un projet social-démocrate, seul à même de faire barrage aux populismes.
Voilà chers amis, les réflexions que je voulais partager avec vous.
Bons débats et bons travaux.
